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DOCUMENTS BIBLIOGRAPHIQUES

S’étant développée en proportion de l’instruction publique, elle est devenue une affaire commerciale très coûteuse, dont les revenus les plus assurée proviennent de la publicité. La transformation de la presse d’opinion, à tirage restreint, en grande presse d’information et de publicité est un des chapitres les plus importants de l’histoire sociale contemporaine.

Les grands journaux font la conspiration du silence contre tout ce qui ressemble à une idée (le mot est d’André Tardieu lui-même) et souvent ils sont en dernière analyse aux mains de quelques personnalités. En France et ailleurs, la grande Presse s’abstient soigneusement de citer les journaux qui œuvrent en marge d’elle-même.

Les peuples se méprennent réciproquement sur une foule de manifestations de l’opinion. En matière de politique extérieure, les journaux, même en temps de paix, sont tous tendancieux : des discours officiels, ils ne reproduisent que ce qui répond à leurs buts politiques propres. Ceci est soigneusement éliminé de sorte que les bonnes paroles sont tombées dans le vide ; cela au contraire, peu important en soi, fait l’objet de commentaires passionnels, sensationnels. Les opinions isolées de quelques groupes sans importance réelle ou de quelques individualités sans mandat sont présentées comme l’expression de l’opinion publique ou la politique même suivie par les gouvernements responsables. D’ailleurs même la Presse dans son ensemble ne présente pas toujours adéquatement l’opinion publique.

c) La Presse d’information est souvent Presse de déformation. La Presse pêche par ignorance ou parti-pris.

« Rien, dit Charles Richet (Les Coupables), n’est plus servile qu’un journal. Il n’ose pas, pour ne pas déplaire à ses abonnés, résister au sentiment populaire et cependant c’est le journal qui détermine le sentiment populaire. Cercle vicieux redoutable ; car l’opinion publique est la fille immédiate du journal. Le journal crée l’opinion et l’opinion dirige le journal. Il n’a pas le courage d’être plus qu’un reflet. Un reflet ! Mais les vacillantes lueurs qu’il se complaît à refléter sont celles qu’il a lui-même le premier projetées dans l’espace. »

d) L’analyse politique et sociale de la presse s’impose donc. Mais qui la fera cette analyse ? Il faut connaître le volume d’une opinion. Quand les organes attitrés du pangermanisme lancèrent dans le public des articles menaçants, en rassurant les populations en proclamant que ces feuilles étaient sans influence et presque sans lecteurs. L’événement a prouvé le contraire.

e) Presse. Opinions de presse.

« Il nous plaît de voir comment un même événement survenu chez nous ou au dehors, réagit dans nos divers terroirs, quelle résonance il trouve dans les divers milieux de notre opinion. Et quand, après ces lectures variées, on s’efforce de parvenir à la synthèse qu’elles commandent, on se sent plus ferme et plus rassuré sur le sens des grands événements que nous voyons s’accomplir sous nos yeux et mieux armés aussi pour les suivre et les diriger dans leurs évolutions successives. »

(Albert Lebrun, Président de la République Française.)

f) Après Fashoda, les organes nationalistes de Paris, L’intransigeant, La Presse, La Patrie, etc., adressaient à l’Angleterre et aux Anglais les pires invectives et les plus virulents sarcasmes. Quelques années après, ils exaltaient à l’unisson, l’Entente cordiale. Ils faisaient de l’opinion des jouettes, car dans les deux cas ils ne parlaient pas seulement circonstances mais principes.

Au cours des événements qui ont porté Hitler au pouvoir, on a vu le gouvernement prussien imposer aux journaux la publication d’un manifeste contraire au referendum organisé par ses adversaires et réprouvé par les journaux. Le président Hindenburg est intervenu au dernier moment pour faire modifier la législation.

g) On devra se demander aussi si la Presse ne devra pas être systématiquement complétée par des mesures de publicité politique. Ce qui fut fait en Angleterre pour la conscription volontaire, plus tard pour le grand emprunt, mérite d’être étudié avec la plus grande attention. Des masses énormes d’hommes ont été convaincus en très peu de temps d’un devoir patriotique à remplir : s’enrôler et apporter leur souscription à la patrie.[1]

h) « Le journal contemporain, dit H. de Brandeis, est fatalement obligé d’obéir à la loi de l’intérêt qui est vitale pour lui, qui le transforme en un jouet, instrument cherchant à satisfaire le goût, quel qu’il soit, de son client, ou bien il est l’instrument de campagne politique ou financière. Chaque personne qui ouvre une feuille quotidienne est en droit de se demander si ce qu’elle y trouvera a été mis là pour flatter sa manie ou pour influencer sa pensée au profit d’un tiers. L’utile, la seule chose qu’il importe de vulgariser n’y trouve un abri qu’exceptionnellement et comme à regret. Le journal est trop souvent la propagation des immoralités. »

i) Il est important d’avoir des journaux répandus dans tout un pays et combattant les idées particularistes. C’est un moyen de former une opinion commune. Ainsi les journaux ont pu contribuer à former l’âme de la Chine. C’est une indication de ce que pourrait être de grands journaux réellement mondiaux pour la préparation de la « République mondiale des esprits et des activités ».

j) On a fait à la Presse trois grands reproches : 1° elle est méchante ; 2° elle est vénale ; 3° elle est de contenu inférieur. Beaucoup d’organes de la presse, pour vivre, ont ou les subventions du gouvernement ou celles de grosses affaires qui sont intéressées à voir influencer de certaine manière l’opinion publique et les parlementaires. Dans une phase ultérieure on a vu la propriété des jour-

  1. Voir dans les journaux illustrés de l’époque, notamment Le Miroir du 4 mars 1917.