Page:Ozanam - Œuvres complètes, 3e éd, tome 5.djvu/68

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un trésor. Là, il passait de longues heures dans une agonie d’esprit qu’il ne pouvait exprimer, troublé de pensées tumultueuses, de craintes et de remords. Son cœur sentait qu’il ne trouverait pas de repos avant, d’avoir accompli quelque chose d’inconnu, mais de plus qu’humain. Alors il priait Dieu de lui montrer la voie, et il sortait de cette prière si brisé de fatigue, que ses compagnons, en le revoyant, l’eussent pris pour un autre homme. Or, un jour qu’il persévérait ainsi dans l’oraison, il crut voir devant lui la croix du Calvaire et le Sauveur attaché au bois ; et à cette vue, dit l’historien de sa vie, son âme sembla se fondre en lui, et la Passion du Christ s’imprimer si profondément dans ses entrailles et dans la moelle de ses os, qu’il ne pouvait plus y arrêter sa pensée sans être inondé de douleur. On le rencontrait errant dans la campagne, donnant un libre cours à ses larmes et à ses sanglots et quand on lui demandait s’il souffrait quelque mal « Ah ! s’écriait-il, je pleure la Passion de. Jésus-Christ, mon Maître, pour laquelle je ne devrais pas avoir honte d’aller pleurant par tout le monde[1].  » Voilà l’amour qui remplit la vie de saint François, l’étincelle que son génie attendait. Plusieurs douteront peut-être qu’un tel amour, bon pour former des solitaires et remplir des couvents,

  1. Vita a tribus sociis , I : « Plango Passionem Domini mei Jesu Christi, pro quo non deborem verecundari alta voce ire plangendo per totum mundum. » Cf. saint Bonaventure, IX.