Page:Ozanam - Œuvres complètes, 3e éd, tome 7.djvu/40

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embrasse doña Chimène, et Chimène va baiser la main du Cid, pleurant de ses yeux ; car elle ne sait que faire. Et lui, il recommençait à regarder ses filles « Je vous recommande à Dieu, mes filles, et à votre mère, et à votre père spirituel. » Ainsi se séparèrent-ils, comme l’ongle se sépare de la chair[1]. Vous ne retrouverez rien ici de ces sentiments affadis où se complaît l’art des troubadours. La nature n’a pas besoin de subtilités et de raffinements ; elle a des cris pour remuer jusqu’au fond les entrailles des hommes. Vous reconnaissez l’accent des adieux d’Andromaque et d’Hector, avec la majesté chrétienne de plus de moins, une grâce et un éclat dont la muse grecque a le secret. Dans le poëme du Cid comme dans les épopées homériques, nous touchons au fond primitif de toute poésie. De même que sous l’œuvre d’Homère, on découvre les chants guerriers dont il a recueilli, transformé, et fait vivre les débris de même l’épopée castillane, écrite au treizième siècle, a recueilli l’écho des chansons non écrites où l’on célébrait déjà l’invincible Rodrigue :

Ipse Rodericus, mio Cid semper vocatus,
De quo cantatur quod ab hostibus haud superatur.

  1. Salieron de la eglesia ya quieren cavalgar.
    El Cid a doña Ximena ibala abrazar,
    Doña Ximena al Cid la mano’i va a besar,
    Lorando de los ojos, que non sabe que se far.
    E el a las niñas tornó las a catar,
    A Dios vos acomiendo, fijas ;
    E a la mugier e al padre spiritual…  »
    Asi s’parten unos d’otros como la uña de la carne.