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venants une joute poétique : il s’agit de concilier la Providence et la liberté de l’homme. Sept poëtes lui répondent, parmi lesquels un moine et un mahométan. Un désordre fécond, une bienfaisante égalité, confondent tous les rangs, dès qu’on met la main au métier des vers. Des évêques, des hommes d’Etat, correspondent avec Montoro le fripier, Juan le harnacheur, Mondragon le palefrenier, Juan de Valladolid, fils d’un bourreau et d’une servante d’auberge. Le démon des vers remue toute la nation castillane jusqu’à la fange il la possède, il la travaille, mais (chose étrange !) il ne l’inspire pas. Il en fait sortir une école laborieuse, élégante, spirituelle, mais une école froide et vide, et cependant une école nécessaire[1].

Le quinzième siècle est encore un siècle tragique. Les chrétiens d’Espagne se déchirent et s’entretuent, pendant que sur les tours de Grenade les infidèles veillent en attendant l’heure de se jeter sur la Castille épuisée. Pourtant le Cancionero de Baena , qui réunit les compositions de cinquante auteurs, ne garde presque nulle trace des guerres civiles, ni des guerres saintes, où ces poëtes et leurs Mécènes jouaient leur tête. Les plus sérieux s’attachent à une poésie savante, dont ils trouvent l’exemple

  1. Ticknor, History of spanish litterature, t. 1. Voyez aussi la savante introduction de M. Pidal au Cancionero de Baena, et un article de M. Leopoldo de Cueto, Revue des Deux Mondes, du 15 mai 1853.