Page:Péguy - De la situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne, 1906.djvu/19

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vailler dans la même partie. Et eux au contraire étaient si étrangers à tout cela.

Tu es christianus in aeternum : Renan le lui a bien rendu. Les personnes qui savent lire un texte, — elles se font de plus en plus rares depuis l’envahissement des méthodes prétendues scientifiques, — les personnes en particulier qui savent encore lire les textes si difficiles de Renan, j’entends particulièrement les textes, beaucoup moins nombreux qu’on ne le croit généralement, où il nous laisse apercevoir quelque peu de sa pensée, et même quelque entre-aperçu de son arrière-pensée, n’ont aucune hésitation sur la question de savoir à qui Renan pensait quand il écrivait un peu de sa pensée. Pensait-il à ses nouveaux amis, à ses partisans, hommes vulgaires et grossiers pour un ecclésiastique aussi ancien que lui, aussi affiné, hommes terre-à-terre surtout, et vraiment incapables de toute métaphysique, pour un homme demeuré aussi profondément religieux et métaphysicien. Non, il ne pensait point à eux. Il n’écrivait point pour eux. Au fond ils n’étaient point, ils ne devaient jamais être de sa famille mentale et sentimentale. Ils étaient étrangers, comme trop grossiers et insurnaturels, à sa vie mentale et sentimentale, à sa vie nouvelle, continuation, beaucoup plus que ne le pouvaient croire ces partisans grossiers, de son ancienne et de sa première vie, beaucoup trop grossiers pour lui, nouveaux, vulgaires et immétaphysiciens. Il n’écrivait pour eux que ses écritures superficielles et grossières, ses histoires. Et encore, dans ces écritures grossières même, dans ces histoires, combien de précautions, combien de sous-entendus, combien d’avertissements, combien de regards d’intelligence adressés aux autres,