Page:Péguy - De la situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne, 1906.djvu/21

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ment il écrivait. Nullement pour les modernes, comme tels, et faisant leur fonction de modernes. Là est le secret de sa vie et le secret de son œuvre, si inquiétante, autrement, — si inquiétante ainsi déjà, — et si incompréhensible. Tout à fait incompréhensible autrement, si incompréhensible ainsi déjà. Le secret de son style même, du style qui de lui autant que de personne est de l’homme même. Je défie qui que ce soit, moderne, lisant comme un moderne et feignant de n’entendre que dans le sens moderne, d’affirmer qu’il tient à chaque instant toute la pensée de Renan, la pensée extérieure et ensemble et aussi bien la pensée antérieure. Il est évident au contraire, si moderne l’on veut lire en moderne et feindre de n’entendre que dans le sens moderne, que l’on n’entend pas tout, que l’on a des manques incessamment, et, comme par hasard, justement aux endroits où il ne faudrait pas avoir de manques, parce que ce sont les points les plus intéressants, les points capitaux, les passages essentiels. Ce qui revient à dire que l’on se rend assez rapidement compte, si l’on est sincère, que lisant ainsi, on n’y entend plus rien du tout.

J’attire sur ce point toute l’attention du lecteur sincère : dans toute l’œuvre de Renan, sans aucune exception, il court tout au-dessous de l’œuvre comme un sous-entendu perpétuel. Et ce sous-entendu perpétuel aboutit de loin en loin à la surface comme à des points d’émergence. Et il se trouve, comme par hasard, que ce sont ces points d’apparition comme involontaire qui se reconnaissent aussitôt comme des points essentiels, capi-