Page:Péguy - De la situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne, 1906.djvu/36

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n’est mortel pour une ascendance comme ces témoignages de tare intérieure qui sortant pour ainsi dire de l’intérieur même de la race remontent vers le passé des profondeurs inconnues de l’avenir. D’un avenir qui pour eux était l’avenir et qui pour nous est devenu rapidement le présent. Car on vieillit, vite. Rien n’est mortel pour une mémoire comme ces lèpres qui partant du bourgeon censément le plus éloigné ressortent, ayant remonté par un cheminement intérieur à rebours, jusque sous l’écorce du tronc. Singulière, mystérieuse répercussion végétale, retentissement mystérieux, rebroussement de l’arborescence qui par la canalisation de la sève remonte obscure du plus petit bourgeon le plus éloigné, le plus inaperçu, jusqu’aux artères maîtresses du tronc, premier, des grosses racines, premières, éclatant et crevant de l’écorce, comme éclaterait et crèverait une maladie de peau de l’arbre, manifestation et témoin de la tare intérieure inexpiable. Cette sorte de reniement à distance, et par soi-même, cette sorte de reniement par soi-même à distance, par soi-même représenté par un autre, soi-même, par un autre sans doute, mais enfin par celui qui à cette date aura peut-être ou paraîtra peut-être seul avoir qualité pour vous représenter, pour parler en votre nom, pour être vous, en ce temps-là, par celui qui peut-être aura seul, en ce temps-là, la parole, et qui la portera, cette renégation est le plus épouvantable châtiment, temporel, qui puisse atteindre un auteur, véreux ; c’est un châtiment automatique, mécanique, une preuve, par le fait posthume ultérieur, qu’il est véreux, en effet, qu’il avait une tare secrète intérieure, qu’il avait réussi à masquer aux regards de ses contemporains, qu’il