Page:Péguy - Les Mystères de Jeanne d’Arc, volume 3.djvu/34

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le mystère

Tout souillés, tout collés de caillots. Tout était accompli.

Il en avait trop supporté.

Cette tête qui penchait, que j'eusse appuyée sur mon

sein. Cette épaule que j'eusse appuyée à mon épaule. Et ce cœur ne battait plus, qui avait tant battu

d'amour. Trois ou quatre femmes qui pleuraient tout debout. Des

hommes je ne me rappelle pas, je crois qu'il n'y en

avait plus. Ils avaient peut-être trouvé que ça montait trop. Tout

était fini. Tout était consommé. C'était fini. Et les soldats s'en retournaient, et dans leurs épaules

rondes ils emportaient la force romaine :

C'est alors, ô Nuit, que tu vins. O nuit la même.

La même qui viens tous les soirs et qui étais venue tant

de fois depuis les ténèbres premières. La même qui étais venue sur l'autel fumant d'Abel et

sur le cadavre d'Abel, sur ce corps déchiré, sur le

premier assassinat du monde ; ô nuit la même tu vins sur le corps lacéré, sur le

premier, sur le plus grand assassinat du monde. C'est

alors, ô nuit, que tu vins. La même qui étais venue sur tant de crimes depuis

le commencement du monde ; Et sur tant de souillures et sur tant d'amertumes ; Et sur cette mer d'ingratitude, la même tu vins sur

mon deuil; Et sur cette colline et sur cette vallée de ma désolation

c'est alors, ô nuit, que tu vins.

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