Page:Pérochon - Les Creux de maisons.djvu/16

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brisé les jambes ; ils se redressèrent ahuris, les paupières battantes. Ils jurèrent un peu. Puis, ils furent soudain joyeux en reconnaissant Bressuire, et ils se précipitèrent sur leurs valises. Séverin n’avait que sa musette et son clairon ; il sauta le premier sur le quai.

L’employé qui se trouvait à la sortie sourit en voyant venir ces quatre militaires.

— Cette fois, dit-il, c’est la classe, les gars !

— Oui, c’est la classe ! et la vraie…

Ils passèrent vivement, impatients de se sentir enfin chez eux, hors des casernes, hors des gares, hors des villes. Le jour naissait à peine ; il avait plu ; une brume très fine enveloppait les choses, une brume qui n’avait rien de commun avec le brouillard traître qui, tant de fois, les avait fait grelotter là-bas, pendant les longues nuits de garde. Ils se plurent à reconnaître l’humidité familière, la buée honnête montant des terres profondes et fraîches.

Une grosse joie leur serrait la gorge : joie de la liberté retrouvée, joie du retour, joie intime et profonde de l’être qui reconnaît son milieu naturel. Ils demeuraient sur le trottoir, gauches à présent, minables dans leurs uniformes râpés, tellement émus qu’ils ne trouvaient rien à se dire. Ils avaient envie de pleurer et se sentaient ridicules. Tout à coup, l’un d’eux cria :

— Séverin ! sonne !

Les autres approuvèrent bruyamment :

— Oui, oui, sonne, Séverin !

Leur attendrissement avorta en fanfare, Séverin sonna le réveil. Deux cochers et un gamin bossu qui