Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/17

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enthousiasme pour les mathématiques avait peut-être eu pour base principale mon horreur pour l’hypocrisie ; l’hypocrisie à mes yeux était ma tante Séraphie, Mme  Vignon et leurs prêtres[1]. »

La sensibilité, qui est l’antithèse de la sensibilité individualiste, la sensibilité corporative, solidariste, est factice et toujours plus ou moins insincère.

Voyez les dessous de la mentalité corporative. La solidarité de façade y recouvre le banal égoïsme que nous avons distingué tout d’abord de l’individualisme ; égoïsme compliqué ici de sentiments d’esclaves : envie, défiance, malveillance, dénigrement entre compagnons de chaîne. Je connais, dans une administration, qu’il est inutile de désigner autrement des fonctionnaires qui parlent de solidarité, qui lisent un journal intitulé la Solidarité[2]. Mais qu’un collègue soit, de la part d’un chef hiérarchique, l’objet de quelque mauvais tour ou de quelque vilenie notable, ou qu’il arrive à ce collègue quelque mésaventure professionnelle, une mauvaise inspection, par exemple, vous verrez plus d’un de ces excellents collègues se frotter les mains in petto ou même manifester sa satisfaction par quelque allusion méchante, quand il est sûr qu’il n’a rien à craindre, c’est-à-dire quand le collègue visé n’est pas persona grata auprès du chef. Cherchant une hy-

  1. Stendhal, Vie de Henri Brulard, p. 226.
  2. On remarquera que nous ne contestons pas l’utilité de la solidarité comme moyen pratique d’émancipation individuelle ou collective, comme arme défensive ou offensive contre certaines tyrannies et certains arbitraires.