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Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/19

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comme une immense société de laquelle l’individu ne pourrait, quand il le voudrait, s’isoler. Le solidariste se complaît à croire que chacun de ses gestes, chacun de ses actes, presque de ses pensées, a sa répercussion jusqu’en Chine, jusqu’au Kamtchatka, jusque dans Saturne ou dans Mars et inversement que chacun des gestes, chacun des actes des habitants de ces pays ou de ces astres lointains a une répercussion, si infime soit-elle, sur lui. Sentir cette dépendance universelle, s’y complaire, en jouir, l’exagérer à plaisir est le propre de la sensibilité solidariste.

« Sentir ainsi, dirait Nietzsche, c’est l’indice d’un certain tempérament. » Mais autant cette sensation de dépendance est chère à un solidariste, autant elle est intolérable à l’individualiste. Celui-ci secoue le réseau de fils invisibles et mystérieux dont le charge le solidariste. Il se refuse aux nébulosités et à la religiosité solidaristes. Il voit nettement ce qu’il y a de factice dans la préoccupation du général. Il dirait volontiers avec l’Amaury de Sainte-Beuve : « Après tout, les grands événements du dehors et ce qu’on appelle les intérêts généraux se traduisent en chaque homme et entrent, pour ainsi dire, en lui par des coins qui ont toujours quelque chose de très particulier. Ceux qui parlent magnifiquement au nom de l’humanité entière consultent, autant que personne, des passions qui ne concernent qu’eux et des mouvements privés qu’ils n’avouent pas. C’est toujours plus ou moins l’ambition de se mettre en tête et de mener, le désir du