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AMITIÉ ET SOCIALITÉ.

ments, par cette mystérieuse ouvrière, sont comme un insaisissable rayon qui va de l’un à l’autre et ne craignent plus rien, ni des distances, ni du temps. Le temps les fortifie, la distance peut les prolonger indéfiniment sans les rompre. Le regret n’est, en pareil cas, que le mouvement un peu plus rude de ces fils invisibles attachés dans les profondeurs du cœur et de l’esprit et dont l’extrême tension fait souffrir. Une année se passe. On s’est quitté sans se dire au revoir ; on se retrouve, et pendant ce temps l’amitié a fait en nous de tels progrès que toutes les barrières sont tombées, toutes les précautions ont disparu. Ce long intervalle de douze mois, grand espace de vie et d’oubli, n’a pas contenu un seul jour inutile, et ces douze mois vous ont donné tout à coup le besoin mutuel des confidences, avec le droit plus surprenant encore de vous confier[1]. »

Émerson a bien rendu, lui aussi, ce caractère spontané de l’amitié. « Faut-il chercher l’ami si impatiemment ? Si nous sommes apparentés, de quelque façon, nous nous rencontrerons. Dans le monde ancien, il était de tradition qu’aucune métamorphose ne pouvait cacher un dieu à un autre dieu, et un vers grec dit : Les dieux ne sont pas inconnus les uns aux autres. Les amis aussi suivent les lois de la divine nécessité ; ils gravitent l’un vers l’autre et ne peuvent faire autrement. »

Spontané, ce lien est par là même souverainement

  1. Dominique, Paris, 1863, p. 21-22.