Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/65

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un nihilisme métaphysique et social, qui pourrait prendre pour devise ce vers d’Amiel :

Le néant peut seul bien cacher l’infini.

La nature et la société ne sont qu’un tissu de contradictions et d’illusions. Notre moi n’échappe pas à l’universelle loi d’ironie ; il est lui-même, à ses propres yeux, une perpétuelle contradiction et une perpétuelle illusion. Il se rit de lui-même, de sa propre incertitude et de son propre néant.

C’est ici qu’apparaît la différence qu’il faut marquer entre l’ironie et le cynisme.

Le cynisme est un égotisme transcendant. L’égoïsme, l’égoïsme porté à l’absolu est, comme l’a très bien montré M. le Dr Tardieu[1], le principe métaphysique du cynisme. Le cynique ne prend rien au sérieux, si ce n’est toutefois son propre moi, son propre égoïsme. Ce dernier n’est pas pour lui une illusion, mais une réalité, la réalité par excellence, la seule réalité. Devant la ruine de tout le reste, le cynique a sur les lèvres le salut triomphant de Stirner : Bonjour, Moi ! L’ironiste, lui, ne prend pas son moi plus au sérieux que tout le reste. Il y a une ironie envers soi-même aussi sincère et aussi profonde, sinon davantage, que celle qui s’adresse à autrui et au monde. L’ironie recouvre un fond d’agnosticisme, une hésita-

  1. Dr Tardieu, Le cynisme (Revue philosophique, janvier 1904).