Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/70

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ment décrite dans Adolphe : « J’avais contracté une insurmontable aversion pour toutes les maximes communes et pour toutes les formules dogmatiques. Lors donc que j’entendais la médiocrité disserter avec complaisance sur des principes bien établis en fait de morale, de convenance ou de religion, choses qu’elle met assez volontiers sur la même ligne, je me sentais poussé à la contredire, non que j’eusse adopté des opinions opposées, mais parce que j’étais impatienté d’une conviction si ferme et si lourde… Je me donnai, par cette conduite, une grande réputation de légèreté, de persiflage, de méchanceté. On eût dit qu’en faisant remarquer leurs ridicules je trahissais une confiance qu’ils m’avaient faite ; on eût dit qu’en se montrant à mes yeux tels qu’ils étaient ils avaient obtenu de ma part la promesse du silence ; je n’avais point conscience d’avoir accepté ce traité trop onéreux. Ils avaient trouvé du plaisir à se donner ample carrière, j’en trouvais à les observer et à les décrire, et ce qu’ils appelaient une perfidie me paraissait un dédommagement très innocent et très légitime[1]. »

Attitude essentiellement intellectuelle, l’ironie est par là même une attitude aristocratique. L’ironiste a conscience d’être placé à un point de vue supérieur d’où il plane très haut au-dessus des intérêts et des soucis dont le grouillement compose la vie sociale. L’ironiste est l’aristocrate de l’intelligence, comme le philistin en est le roturier ou le bourgeois.

  1. Benjamin Constant, Adolphe, p. 16.