Page:Paquin - Le lutteur, 1927.djvu/39

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en se répercutant y faisait un vacarme sinistre. La montagne vibrait. On aurait cru que les parois s’en détachaient pour tomber et se fracasser.

Tout à coup, une lueur aveuglante suivie d’une détonation brève, rapide, formidable. Un arbre, frappé par la foudre, s’écrasa de tout son long. Tremblante, épeurée, pâmée, elle courut se blottir dans ses bras.

Il lui prit la tête entre ses deux mains, l’appuya sur sa poitrine large et chaude, et ses deux bras se refermèrent comme un rempart vivant.

— Il n’y a pas de danger, Germaine, je suis là.

Elle leva vers lui ses grands yeux violets, que l’émotion faisait plus grands :

— Avec toi, je n’ai pas peur.

Le temps lui sembla soudain d’une clarté de vermeil, et il pensa que mourir avec elle serait une mort douce, ineffablement douce.

La tenant toujours prisonnière de son étreinte, il plongea ses yeux dans les siens. Il buvait son regard où se lisait tout l’Infini des choses.

— Est-ce bien vrai que tu m’aimes ? C’est bien vrai ! Ce n’est pas un rêve. C’est moi… c’est toi…

Affaibli, le tonnerre s’apaisait… Le ciel s’éclaircissait… l’orage s’en allait ailleurs.

Il desserra l’étreinte, lui prit la main et la conduisit vers la porte.

— Germaine ! Dis-moi que tu m’aimes !

— Je t’aime, dit-elle simplement, candidement.

— Tu m’aimeras toujours ?

— Toujours !… Embrasse-moi encore, veux-tu ?

Il lui conta qu’en l’apercevant pour la première fois, ses yeux purs l’avaient fasciné, son image s’était gravée en lui pour ne jamais s’effacer.

Comme pour fêter leur amour triomphant, la nature se faisait belle. Aux feuilles des arbres, il y avait partout des perles, des diamants, des turquoises qui brillaient dans la lumière rajeunie… Il y avait dans l’atmosphère quelque chose de câlin, de caressant.

Après qu’il eut fait un feu pour sécher leurs vêtements trempés, ils dînèrent en tête à tête et passèrent l’après-midi à se conter mille riens, mille insignifiances entrecoupées par ces mêmes phrases qui revenait sans cesse comme un leitmotiv.

— Tu m’aimes ?… Je t’aime.

Et les heures s’écoulèrent comme des secondes. Il nageait dans l’ivresse et l’enchantement du premier amour. Il était, dans sa vie, le premier homme ; elle était la première femme. Leur passé leur appartenait et l’avenir, ils décidèrent de le conquérir ensemble.

…Sacrée comédienne !  !  ! accompagnant cette réflexion de phrases qui, pour n’être pas académiques, n’en étaient pas moins énergiques. En même temps un coup de poing consciencieusement appliqué sur sa table fit sauter en l’air ses cendriers avec ses pipes. Il se calma vite.

— Non… j’ai tort ! Elle était sincère à ce moment.

Soudain l’image de Pierrette se dressa devant lui.

Il sourit.

— Que vient faire Pierrette dans cette rêverie…

Ce que furent les jours qui suivirent ? Un bonheur sans ombre, une allégresse continue. Ils se voyaient quotidiennement, étaient sans cesse ensemble. Comme les deux pigeons de Lafontaine, ils roucoulaient. Ils passaient de longues après-midi sans presque se parler, à écouter chanter en eux l’hymne de leur printemps.

— Quand nous marions-nous ? demanda-t-elle une fois.

— Quand j’aurai une situation digne de toi… Nous sommes jeunes tous deux… M’aimes-tu assez pour attendre deux ans, trois ans, quatre ans ? Je suis sûr qu’un jour je serai quelqu’un. Rien ne me fait peur, ni les hommes, ni les événements.

Il lui fit part de ses rêves.

Elle se laissait bercer par sa voix, le suivait dans les jours à venir et qui leur appartiendraient.

…Et l’automne arriva.

Elle partit pour la ville où le député avait l’intention de se fixer définitivement. Il venait d’avoir l’assurance que dans un mois au plus tard il serait nommé au conseil législatif. Le matin même du départ, ils eurent leur dernière entrevue.

Elle était attristée, abattue.

— J’ai parlé à papa de nos amours. Il s’est fâché rouge. Il m’a dit qu’il ne consentirait jamais à ce que je devienne ta femme. Même il a ajouté qu’il ne permettrait pas que tu mettes les pieds chez nous tant que je ne serai pas majeure…

Cela fit rire le jeune homme.

— Ton père cédera bien. Si je veux, il faudra qu’il le veuille aussi.

— Ce n’est pas tout, les paroles… Écoute-moi, je vais te demander un sacrifice. Tu