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LES CAPRICES DU CŒUR

tion de ses qualités fascinatrices qu’elle plaçait au plus haut rang.

La joie de voir un homme à ses pieds, joie bien innocente pour elle, et dont elle ne connaissait pas les conséquences tragiques parfois, était pour elle la plus grande volupté qui existait sur terre.

Elle en éprouvait un frisson de vanité qui frisait l’orgueil et faisait battre son cœur dans son corsage.

Que Lucien Noël n’eut pas succombé, et n’ait pas consacré par sa chute, la toute puissance de ses charmes féminins, lui causait comme une brûlure.

À force de penser à lui, elle se convainquit qu’elle l’aimait, et cela activa son désir d’être aimé de lui.

Quel moyen prendrait-elle pour capter son cœur ? Elle résolut de ne rien brusquer, de se fier au hasard, hasard qu’elle provoquerait elle-même. Savante dans l’art de l’intrigue et de capter l’attention, elle possédait au plus haut degré le don de l’intuition. Il y a telle de ses conquêtes qui décelait une tactique extraordinairement psychologique, mais qu’elle avait adoptée à son insu, inconsciemment. Un air de tête, une phrase bien tournée, un mot aguichant, souvent, avait suffi, pour se faire, dans un bal, du mâle en vedette, son chevalier servant.

Le soir du renversement du ministère, lorsqu’elle rentra chez elle, après avoir passé la soirée au Château en compagnie d’une amie, elle décida donc de faire le siège en règle de Lucien Noël, d’autant plus que celui-ci, par son dernier exploit, se parait à ses yeux, d’un prestige nouveau.

Avant de s’endormir, elle étudia les moyens à prendre pour mieux enlacer le jeune homme. Tous lui paraissaient bons, d’autant plus qu’elle était certaine de l’aimer, et qu’elle avait la croyance en une Destinée Supérieure, qui avait permis qu’elle fut, dès le Couvent, l’amie de Germaine, dans ce seul but.

Ayant quelques intérêts dans Québec, et voulant y promouvoir davantage la vente de son journal, Lucien décida donc de demeurer dans cette ville une semaine de plus. Les Montréalais disent de Québec que c’est un grand village. Ils n’ont pas tout à fait tort en ce sens qu’aucun événement, si petit soit-il, n’y passe inaperçu et que tout le monde s’y rencontre.

La Terrasse Dufferin est l’endroit par excellence où l’on peut rejoindre quelqu’un dont le téléphone nous a appris son absence de chez lui.

Le lendemain soir, peu après le souper, Lucien rencontra donc Hortense Lambert.

Pour ne pas paraître trop sauvage, et parce qu’elle était l’intime de sa sœur, il s’arrêta pour lui parler, et lui demanda si sa soirée était engagée.

Sur la réponse négative de la jeune fille, il fit quelques tours de la Terrasse et entra au Château prendre une tasse de café tout en écoutant jouer l’orchestre.

Saisissant tout de suite, que, paraître intéressée et captivée par la compagnie du jeune homme, c’était risquer de le perdre, Hortense Lambert ne causa que de choses indifférentes, fit taire sa féminité, ne songeant qu’à être un compagnon sûr et discret.

Il passa une soirée fort agréable. La conversation d’Hortense était piquante, pleine d’imprévu. Elle avait des aperçus bien à elle sur les hommes et les événements auxquels on se laissait prendre par leur nouveauté ou leur ingénuité.

— Vous êtes encore à Québec pour longtemps, lui demanda-t-elle, comme ils cheminaient ensemble sur la rue St-Louis.

— Une semaine au moins.

— À ce compte-là, j’espère vous revoir. La porte de notre maison vous est toujours ouverte.

Le journaliste promit une visite, et, ne regretta pas ce sacrifice à l’avance de quelques-unes de ces heures, à son grand ennemi, le beau sexe, qu’il appelait plutôt le méchant sexe.

Elle se félicita de cette entrevue, augure d’une lutte que la victoire couronnerait.

À son retour, Noël se dit qu’il avait tort de tant craindre les femmes, et que, parce qu’une jeune péronnelle, lui avait un jour faussé compagnie, ce n’était pas une raison pour se priver de la douceur d’une société plus délicate et plus raffinée que celle qu’il fréquentait habituellement. Il alla souvent Grande Allée, passer quelques soirées, charmantes, à écouter la musique qu’interprétait Hortense. Il s’engourdit ainsi dans les délices de Capoue, réunissant maille par maille le chainon qui le captiverait.

Bien des symptômes auraient dû pourtant lui faire crier gare. Il était trop heu-