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à MADEMOISELLE DE ROANNEZ.

produit ordinairement le cœur nouveau. Jésus-Christ a donné dans l’Évangile cette marque pour reconnoître ceux qui ont la foi, qui est qu’ils parleront un langage nouveau[1] ; et en effet, le renouvellement des pensées et des désirs cause celui des discours. Ce que vous dites des jours où vous vous êtes trouvée seule, et la consolation que vous donne la lecture, sont des choses que M. N .... sera bien aise de savoir quand je les lui ferai voir, et ma sœur aussi. Ce sont assurément des choses nouvelles, mais qu’il faut sans cesse renouveler ; car cette nouveauté, qui ne peut déplaire à Dieu, comme le vieil homme ne lui peut plaire, est différente des nouveautés de la terre, en ce que les choses du monde, quelque nouvelles qu’elles soient, vieillissent en durant ; au lieu que cet esprit nouveau se renouvelle d’autant plus, qu’il dure davantage. « Notre vieil homme périt, dit saint Paul, et se renouvelle de jour en jour[2], » et ne sera parfaitement nouveau que dans l’éternité, où l’on chantera sans cesse ce cantique nouveau dont parle David dans les psaumes de laudes, c’est-à-dire ce chant qui part de l’esprit nouveau de la charité.

Je vous dirai pour nouvelle de ce qui touche ces deux personnes, que je vois bien que leur zèle ne se refroidit pas : cela m’étonne, car il est bien plus rare de voir continuer dans la piété que d’y voir entrer. Je les ai toujours dans l’esprit, et principalement celle du miracle, parce qu’il y a quelque chose de plus extraordinaire, quoique l’autre le soit aussi beaucoup et quasi sans exemple. Il est certain que les grâces que Dieu fait en cette vie sont la mesure de la gloire qu’il prépare en l’autre. Aussi, quand je prévois la fin et le couronnement de son ouvrage par les commencemens qui en paroissent dans les personnes de piété, j’entre en une vénération qui me transit de respect envers ceux qu’il semble avoir choisis pour ses élus. Je vous avoue qu’il me semble que je les vois déjà dans un de ces trônes ou ceux qui auront tout quitté jugeront le monde avec Jésus-Christ, selon la promesse qu’il en a faite. Mais quand je viens à penser que ces mêmes personnes peuvent tomber, et être au contraire au nombre malheureux des jugés, et qu’il y en aura tant qui tomberont de la gloire, et qui laisseront prendre à d’autres par leur négligence la couronne que Dieu leur avoit offerte, je ne puis souffrir cette pensée ; et l’effroi que j’aurois de les voir en cet état éternel de misère, après les avoir imaginées avec tant de raison dans l’autre état, me fait détourner l’esprit de cette idée, et revenir à Dieu pour le prier de ne pas abandonner les foibles créatures qu’il s’est acquises, et à lui dire pour les deux personnes que vous savez ce que l’Église dit aujourd’hui avec saint Paul : « Seigneur, achevez vous-même l’ouvrage que vous-même avez commencé[3]. » Saint Paul se considéroit souvent en ces deux états, et c’est ce qui lui fait dire ailleurs[4] : « Je châtie mon corps, de peur que moi-même, qui convertis tant de peuples, je ne devienne réprouvé. » Je finis donc par ces paroles de Job[5] : « J’ai toujours craint le Seigneur comme les flots d’une mer

  1. Marc, XVI, 17.
  2. Coloss., III, 9, 10.
  3. Philipp., I, 6.
  4. Cor., IX, 27.
  5. XXXI, 23.