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SUR LES COMMANDEMENS DE DIEU.

les justes n’ont pas toujours le pouvoir prochain de persévérer dans la prière ; car puisque les promesses de l’Évangile et de l’Écriture nous assurent d’obtenir infailliblement la justice nécessaire pour le salut, si nous la demandons par l’esprit de la grâce et comme il faut, n’est-il pas indubitable qu’il n’y a point de différence entre persévérer dans la prière, et persévérer dans l’impétration de la justice ; et qu’ainsi si tous les justes ont le pouvoir prochain de persévérer à prier, ils ont aussi tous le pouvoir prochain de persévérer dans la justice, qui ne peut être refusée à leur prière ; ce qui est formellement contraire à la décision du canon ?

Cette même décision n’enferme-t-elle pas encore, par une conséquence nécessaire, qu’il n’est pas vrai que Dieu ne laisse jamais les justes sans le pouvoir prochainement suffisant pour prier à l’instant suivant, puisqu’il n’y a point de différence entre avoir le pouvoir prochain de prier dans l’instant suivant, et avoir le pouvoir prochain de persévérer dans la prière ; et qu’ainsi si tous les justes ont le pouvoir prochain de prier dans l’instant suivant, ils ont tous le pouvoir prochain de persévérer dans la prière, et partant, ils ont tous le pouvoir prochain de persévérer dans la justice ; contre les termes exprès du concile, qui déclare que non-seulement les justes n’ont pas la persévérance, mais même le pouvoir de persévérer, sans un secours spécial, c’est-à-dire qui n’est pas commun à tous ?

D’où vous voyez combien il se conclut nécessairement, qu’encore qu’il soit vrai en un sens que Dieu ne laisse jamais un juste, si le juste ne le laisse le premier, c’est-à-dire que Dieu ne refuse jamais sa grâce à ceux qui le prient comme il faut, et qu’il ne s’éloigne jamais de ceux qui le cherchent sincèrement : il est pourtant vrai en un autre sens que Dieu laisse quelquefois les justes avant qu’ils l’aient laissé, c’est-à-dire que Dieu ne donne pas toujours aux justes le pouvoir prochain de persévérer dans la prière, ou, ce qui est la même chose, la grâce avec laquelle rien n’est plus nécessaire pour prier effectivement ; car puisque le concile déclare que les justes n’ont pas toujours le pouvoir de persévérer, d’où nous avons vu qu’il s’infère de nécessité que c’est s’opposer au concile, de dire de quelque juste que ce soit, que Dieu lui donne le pouvoir prochain de prier dans l’instant suivant ; ne paroît-il pas qu’il y a des justes que Dieu laisse sans ce pouvoir pendant qu’ils sont encore justes, c’est-à-dire avant qu’ils aient laissé Dieu, même par aucun péché véniel, puisque si Dieu ne refusoit ce secours prochain à aucun de ceux qui n’ont commis aucun péché véniel depuis leur justification, il s’ensuivroit que tous les justifiés recevroient avec leur justification le pouvoir prochain de persévérer par un secours général, et non pas spécial ?

Concluons donc que, suivant le concile, les commandemens sont toujours possibles aux justes en un sens ; et qu’en un autre sens, les commandemens sont quelquefois impossibles aux justes : que Dieu ne laisse jamais le juste, si celui-ci ne le quitte, et qu’en un autre sens, Dieu laisse quelquefois le juste le premier, et qu’il faut être, ou bien aveugle, ou bien peu sincère, pour trouver de la contradiction dans ces proposi-