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chapitre premier.

jamais d’une créance utile et de foi, si Dieu n’incline le cœur ; et on croira dès qu’il l’inclinera. Et c’est ce que David connaissait bien : Inclina cor meum, Deus, in testimonia tua[1].

XVI. — Ceux que nous voyons chrétiens sans la connaissance des prophéties et des preuves ne laissent pas d’en juger aussi bien que ceux qui ont cette connaissance. Ils en jugent par le cœur[2], comme les autres en jugent par l’esprit. C’est Dieu lui-même qui les incline à croire ; et ainsi ils sont très efficacement persuadés[3].

J’avoue bien qu’un de ces chrétiens qui croient sans preuves n’aura peut-être pas de quoi convaincre un infidèle qui en dira autant de soi. Mais ceux qui savent les preuves de la religion prouveront sans difficulté que ce fidèle est véritablement inspiré[4] de Dieu, quoiqu’il ne pût le prouver lui-même. Car Dieu ayant dit dans ses prophètes (qui sont indubitablement prophètes), que dans le règne de Jésus-Christ il répandrait son esprit sur les nations, et que les fils, les filles et les enfants de l’Église prophétiseraient[5], il est sans doute que l’esprit de Dieu est sur ceux-là, et qu’il n’est point sur les autres.

XVII. — Ceux qui croient sans avoir lu les Testaments[6], c’est parce qu’ils ont une disposition intérieure toute sainte[7], et que ce qu’ils entendent dire de notre religion y est conforme. Ils sentent qu’un Dieu les a faits. Ils ne veulent aimer que Dieu ; ils ne veulent haïr qu’eux-mêmes. Ils sentent qu’ils n’en ont pas la force d’eux-mêmes ; qu’ils sont incapables d’aller à Dieu ; et que, si Dieu ne vient à eux, ils ne peuvent avoir aucune communication avec lui. Et ils entendent dire dans notre religion qu’il ne faut aimer que Dieu, et ne haïr que soi-même : mais qu’étant tous corrompus, et incapables de Dieu, Dieu s’est fait homme pour s’unir à nous. Il n’en faut pas davantage pour persuader des hommes qui ont cette disposition dans le cœur, et qui ont cette connaissance de leur devoir et de leur incapacité.



  1. « Inclinez mon cœur, ô Dieu, vers votre révélation ». (Ps. cxviii, 36.)
  2. D’une façon raisonnable pourtant et surnaturelle.
  3. Pascal avait d’abord ajouté, puis il a biffé ceci : « On répondra que les infidèles diront la même chose ; mais je réponds à cela que nous avons des preuves que Dieu incline véritablement ceux qu’il aime à croire la religion chrétienne, et que les infidèles n’ont aucune preuve de ce qu’ils disent : et ainsi nos propositions étant semblables dans les termes, elles diffèrent en ce que l’une est sans aucune preuve, et l’autre est solidement prouvée. »
  4. Il eût mieux valu dire : aidé, secouru.
  5. Joel, ii, 28.
  6. La Bible. Il n’est nullement nécessaire de la lire pour arriver à la foi.
  7. Opérée par la grâce divine.