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comment nous ferons la révolution

Maintenant, le flot refluait sur Paris, — comme la marée montante qui, en un jour de tempête, vient battre les côtes. Par vagues colossales, les groupes s’avançaient, toujours frémissants, toujours en tension de révolte.

Les autorités eurent le tort de passer d’une extrême réserve à une confiance provocatrice ; elles se départirent de la prudence qu’elles avaient observée jusque-là et s’avisèrent de mesures qui exaspérèrent les manifestants.

Au lieu de continuer à rester terrée, invisible, la force armée, flanquée des agents de police, reçut l’ordre d’effectuer des barrages, de défendre l’accès de certaines voies, de canaliser la foule à sa rentrée dans Paris, — de manière à la couper, à la morceler.

En tout autre moment, cette manœuvre d’éparpillement et d’aiguillage eût été subie sans trop de protestations. À l’heure actuelle, il n’en pouvait être ainsi, la nervosité et la surexcitation des manifestants avait atteint trop d’acuité. Cette masse était si profonde, si compacte ; elle était animée d’une telle force d’impulsion que c’était folie de prétendre la disperser ou simplement l’endiguer. Les barrages qu’on lui opposa furent rompus, traversés.

La foule s’avançait en rangs tellement serrés qu’il lui était impossible de reculer, l’eût-elle voulu. Elle allait devant elle, avec une impétuosité irrésistible : comme un coin formidable, elle s’enfonça dans la masse armée, — et les troupes durent céder sous sa poussée. L’infanterie rompit ses rangs avec d’autant plus de facilité que les corvées qui lui étaient imposées commençant à lui répugner, elle n’obéissait plus