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COCARDASSE ET PASSEPOIL

gloire de son internement, dans ce château où, cependant, il avait maudit de tout son cœur le Régent, Gonzague, Peyrolles, Lagardère et un peu tout le monde.

Nivelle, seule avait trouvé grâce devant lui et, se retrouvant libre, ce fut à elle qu’il pensa tout d’abord.

Il se souciait fort peu de savoir ce qu’était devenu son ancien protecteur n’ayant pas la moindre envie de l’aller retrouver pour retomber sous sa despotique domination.

En effet, la grâce dont il bénéficiait entraînait avec elle la cessation de son exil et il était bien trop heureux d’être délivré de toutes chaînes, pour en river désormais de nouvelles à ses poignets, celles de l’amour mises à part.

Tout eût donc marché pour lui à souhait si, en se rendant dès le soir même à l’Opéra, afin d’y revoir l’objet de son culte, il ne s’était précisément heurté en route à M. de Peyrolles lui-même.

Ce fut une rencontre fort désagréable.

Oriol essaya bien de l’éviter et peut-être y eût-il réussi, même malgré son peu de souplesse, si l’intendant n’eût été accompagné du baron de Batz, qui, reconnaissant aussitôt son ex-compagnon de pèlerinage, vint lui abattre ses deux larges mains sur les épaules en criant :

— Gorpleu !… le caillard il n’a bas maicri, à la Pasdille… Tu tois afoir le pras rebosé, mon cros, et la pesogne ne manque pas te nodre gôté… Allons, fiens…

— Une lame de plus n’est pas à dédaigner, ajouta Peyrolles dont le visage d’oiseau essaya de sourire. Soyez le bienvenu, cher Oriol, le prince sera content de vous revoir… tout comme moi, d’ailleurs…

Ce sentiment n’était pas réciproque.

Oriol, s’armant de tout son courage, s’empressa de protester, invoquant mille excuses aussi saugrenues les unes que les autres pour se tirer de ce mauvais pas.

— Enfin, conclut-il, vous me laisserez bien la faculté de jouir quarante-huit heures au moins de ma liberté complète, et, quand le diable s’en mêlerait, il en sera ainsi.

Jamais encore, en toute sa vie, le petit homme n’avait montré pareille volonté de s’affranchir.

Hélas ! sa couardise trop connue allait bientôt servir à faire rentrer cette belle fringale de fierté.

— Dans quarante-huit heures, fit M. de Peyrolles, nous n’aurons plus besoin de vous… Vous voulez jouir de votre liberté, dites-vous ?… Soit, mais souffrez que je vous répète les paroles textuelles de M. le prince : Qui n’est pas avec moi est contre moi !

Ces paroles furent prononcées sur un ton de menace dont le seul but était d’effrayer Oriol.

L’intendant, au fond, se souciait assez peu de lui, mais il ne voulait pas le voir passer dans le camp opposé.

Le baron de Batz s’impatientait, ne comprenant rien à ces subtilités.

Si, pour le bien de l’association, Oriol devait revenir avec ses compagnons, pourquoi se perdre en discours ?

Il avait une façon brutale de trancher les difficultés, lui ; aussi, la discussion durant trop, à son gré, ne manqua-t-il pas d’user de ce principe.