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INTRODUCTION.

convaincus et militants, et, comme ils combattaient pour des intérêts et non pour des principes, leur action, quoique cachée, fut prépondérante. Bien qu’animée des meilleures intentions, la Constituante, grâce à leur opposition irréductible, n’osa jamais aborder de face le redoutable problème de l'esclavage. À vrai dire elle ne s’occupa que du sort des hommes de couleur ; Dès le 3 juillet 1789, Mirabeau avait parlé en leur faveur : « Si les colons veulent que les nègres et gens de couleur soient hommes, qu’ils affranchissent les premiers, que tous soient électeurs, que tous soient élus ! » Son appel fut entendu. Le 18 octobre de la même année les gens de couleur résidant à Paris adressaient à la Constituante une pétition par laquelle ils demandaient à être représentés. Ils s'offraient même à payer la fameuse contribution du quart des revenus. Grégoire plaida leur cause. Une mémorable discussion s’engagea qui occupa plusieurs séances[1]. Près de cinquante Constituants prirent successivement la parole. On finit, sur la motion de Rewbell, par adopter une mesure transitoire : les droits des citoyens actifs n’étaient reconnus qu’aux noirs libres, fils de père ou de mère libre ; c’est-à-dire que l’esclavage était maintenu, mais qu’on admettait le principe de la libération successive. C’était un premier succès pour les amis des noirs, mais la victoire n’était pas encore complète.

En effet la discussion continua. Partisans et adversaires de la liberté des noirs soutinrent par la voie des journaux ou des livres, et même au théâtre les théories chères à leur cœur. Dès 1789 un auteur anonyme faisait représenter, d’ailleurs sans succès, l'Esclavage des nègres ou l'heureux naufrage. En 1790 l’Ambigu donnait le Nègre comme il n’y a pas de Blancs ; en juillet 1791 au théâtre de Beaujolais était jouée la Belle Esclave, et en décembre de la même année, sur le théâtre de Monsieur, un opéra Le bon maître ou les esclaves par amour. Les auteurs de brochures n’épargnaient pas leur peine. Grégoire commençait sa campagne antiesclavagiste en composant en faveur des nègres, dès janvier 1790, un plai--

  1. Séances du 7 au 15 mai 1791.