Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/102

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

deviennent redoutables à cette institution et à ces individus. Il faudrait que des prophètes fussent extraordinairement forts et justes pour ne prêter pas les mains à l’accomplissement de leurs prophéties. Ne demandons pas aux hommes une force et une justice extraordinaire. Il est si agréable d’avoir prophétisé juste. Nous devons sagement nous estimer heureux quand ces prophéties complaisamment réalisées ne sont pas élevées ensuite à la dignité de lois naturelles.

— Pendant que je considérais l’univers sous l’aspect que je vous ai dit, je formai le ferme propos, si j’en réchappais, de ne marcher de toutes mes forces contre aucune personne comme telle, mais seulement contre l’injustice. Après quoi je demandai le médecin au moment même où ma famille avait la même pensée.

— Voilà qui est extraordinaire, mon ami : comment ! vous étiez gravement malade, et vous avez demandé le médecin ! Nous en usons plus astucieusement pour les maladies sociales. Comment ! Vous n’avez fait procéder à aucun scrutin, soit par les habitants de votre commune de Saint-Clair, soit au moins par un conseil élu, par le conseil municipal, soit enfin par les différentes personnes de votre famille ! Vous n’avez pas tenu quelque assemblée, un bon congrès, un concile, ou un petit conciliabule ! Vous n’avez pas pris l’avis de la majorité ! À quoi pensiez-vous ?

— Je pensais à me guérir. Alors nous avons fait venir le médecin.

— Étrange idée ! et comme vous connaissez peu les avantages du régime parlementaire. Nous, quand un parti est malade, nous nous gardons soigneusement de