Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/122

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vous au moment du danger pensé à ceci : à l’immortalité de l’âme ou à sa mortalité ?

— Non, docteur, puisque je vous ai dit que je ne me représentais pas que je partirais, que je quitterais, qu’ensuite je serais sans doute absent. Quand j’étais en province au lycée en ma première philosophie, un professeur âgé, blanc, honorable, très bon, très doux, très clair, très grave, à la parole ancienne, aux yeux profondément tristes et doux, nous enseignait. Nous lui devons plus pour nous avoir donné l’exemple d’une longue et sérieuse vie universitaire que pour nous avoir préparés patiemment au baccalauréat. Il traitait simplement et noblement devant nous les questions du programme. L’immortalité de l’âme était sans doute au programme. Il traita devant nous de l’immortalité de l’âme. Il ne s’agissait de rien moins que de savoir si son âme à lui, à lui qui promenait régulièrement son corps en long et en long dans la classe, et qui plaçait régulièrement le pied de son corps sur les carreaux en brique de la classe, — donc il s’agissait de savoir si son âme à lui était immortelle ou mortelle ; et il ne s’agissait pas moins de savoir si nos âmes à nous, qui utilisions diligemment les mains de nos corps à copier fidèlement le cours, — il ne s’agissait pas moins de savoir si nos âmes à nous étaient immortelles ou mortelles. Ce fut un grand débat. Le professeur équitable nous présenta les raisons par quoi nous pouvons penser que les âmes humaines sont immortelles ; puis il nous présenta les raisons par quoi nous pouvons à la rigueur penser que nos âmes humaines sont mortelles : et dans ce cours de philosophie austère et doux les secondes raisons ne paraissaient pas prévaloir sur les premières. Le profes-