Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/142

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est malade. Je suis malade. Le monde est malade. Les peuples et les nations qui paraissaient au moins libérales s’abandonnent aux ivrogneries de la gloire militaire, se soûlent de conquêtes. La France a failli recommencer les guerres de religion, — sans avoir même la foi. Les jeunes civilisations, comme on les nommait, sont plus pourries que les anciennes. Les rois nous soûlaient de fumées, comme on le chante encore, selon Pottier. Mais à présent, ce sont les peuples qui se soûlent de gloire militaire, comme ils se soûlent d’alcool, eux-mêmes. Auto-intoxication. La pourriture de l’Europe a débordé sur le monde. L’Afrique entière, française ou anglaise, est devenue un champ d’horreurs, de sadismes et d’exploitations criminelles. Réussirons-nous jamais à racheter les hideurs africaines, les ignominies commises par nos officiers au nom du peuple français. Mais non, nous ne le pourrons pas. Car il n’y a pas de rachat. Ceux qui sont morts sont bien morts. Ceux qui ont souffert ont bien souffert. Nous n’y pouvons rien. C’est à peine si nous pouvons atténuer un peu le futur. Par quels remèdes ? Nous essayerons de l’examiner plus tard. Mais quand je vois toutes ces morts collectives menaçantes, quand je vois l’empoisonnement alcoolique et l’épuisement industriel, et quand je pense à la grande mort collective qui clorait l’humanité, je refuse audience à l’enchanteur : « Qu’importe, m’a dit l’enchanteur, qu’importe que l’humanité meure avant d’avoir institué la raison ? qu’importe que mille humanités meurent ? Une humanité réussira. » Quittons, docteur, je vous en prie, quittons la morale astronomique, et soyons révolutionnaires. Préparons dans le présent la révolution de la santé pour l’humanité pré-