Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/280

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l’on acquiert honnêtement les jeunes hommes, les nouveaux hommes, à mesure qu’ils passent leur quinzième, leur dix-huitième ou leur vingtième année, après huit ans d’exercice on est régulièrement une imposante minorité, après vingt ans on est une respectable majorité, après quarante ans, sans risque et sans violence mauvaise, on est devenu l’humanité même, l’humanité enfin sauvée du mal bourgeois, de tout le mal, et instituée en cité harmonieuse. Ainsi le veut l’arithmétique.

Or il est simple de convertir les générations montantes. Il n’y a pour ainsi parler qu’à les divertir de la contamination bourgeoise. L’excellence du socialisme est telle que le socialisme se fait valoir lui-même. Il a une évidence autonome, automatique et antérieure. Il n’a besoin d’aucun avocat. Il ne demande qu’un démonstrateur. Il suffit qu’on le fasse voir. Si un journal exactement et moralement socialiste paraissait, la simple démonstration, la simple proposition du socialisme introduirait au socialisme les générations montantes. Il n’y avait plus qu’à faire un journal socialiste, le journal socialiste. Cela serait facile.

Car ces jeunes gens ignoraient à peu près tout du personnel qui sévissait déjà sous le nom de socialiste. On les avait en effet soumis aux déplorables moyens d’élevage que nous voyons pratiquer autour de nous partout, sur tous les faibles par tous les forts, sur les simples par les habiles, sur les ignorants par les savants, sur les enfants, sur les soldats, sur les ouvriers, sur les électeurs, sur le peuple des animaux au langage inarticulé, sur le peuple des hommes. On leur mentait pour leur bien. C’est la méthode pratiquée sur la plupart des âmes adolescentes par la plupart des âmes adultes. Cette méthode a tout pour elle. Idoine à la paresse et commode au ménagement, elle reste la forme la plus redoutable du mensonge universel. Nos maîtres nous donnaient donc une image heureuse du monde socialiste français, une image bienheureuse du monde socia-