Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/367

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pratiquons l’affirmation stupide, qui a si bien réussi à monsieur le marquis de Rochefort, et l’affirmation sans preuves, qui a si bien réussi à M. Édouard Drumont. Nous nous apercevons que c’est fort commode. Nous reconnaissons, après tous les grands antisémites, qu’il est beaucoup plus facile de répéter une condamnation que de motiver une accusation, et que cela réussit beaucoup mieux. Nous avons éprouvé que les condamnations les plus stupides sont, à beaucoup près, celles qui obtiennent le meilleur accueil, et que les calomnies les plus grossières sont celles qui trouvent le plus large crédit. Nous utilisons pour le mieux de nos intérêts la mentalité démagogique depuis longtemps instituée par nos adversaires les plus précieux. Nous cultivons parmi nous cette singulière mentalité du traître, sur laquelle nous avons fait de si beaux articles au cours de l’affaire, mentalité où tout homme qui pense librement apparaît comme un espion et pour tout dire comme un vendeur de bordereau. Nous semons à pleines mains la suspicion. C’est beaucoup plus facile que de semer l’éducation. Nous poignardons les gens que nous aimons le mieux. Pour leur bien. Parce que nous les aimons. Pour assurer leur salut éternel. Nous les étouffons de tendresse. Quand c’est de tendresse feinte, le résultat est déjà remarquable. Mais quand c’est de tendresse vraie que nous étouffons les gens que nous aimons, nous touchons à la politique sublime. Il a dû y avoir des moines aussi beaux. Tourner les mauvais sentiments en actions mauvaises demande un certain métier, mais détourner les sentiments de l’amour aux fins de la haine exige un sens religieux de la politique. Nous devons convertir les infidèles. Mais surtout nous