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En dépit des fautes, des rancunes, des violences, l’unité socialiste était en marche…

— Monsieur, demanda Pierre Deloire, voulez-vous me dire ce que c’est que ce que vous nommez l’unité socialiste. Si j’ai bien suivi le discours que vous nous tenez, vous intercalez l’unité à des places non fortuites. Qu’est-ce que cette unité ?

— C’est un mot fort commode, qui fait qu’on peut se battre et se tuer la conscience tranquille. Vous, par exemple, monsieur, quand je vous donne un coup de poing, c’est une violence légère ; si je vous donne un coup de bâton, c’est une violence grave ; si je vous donne un coup de couteau, c’est une tentative d’assassinat ; si je vous tue, c’est un assassinat. Tout ce mal vient de ce que nous n’avons pas encore fait l’unité. Quand au contraire on a fait l’unité avec une personne, les coups de poing, les coups de bâton et les coups de couteau deviennent permis, sinon encouragés. Quand on a fait l’unité, les haines, restant haineuses, deviennent piétés ; les jalousies, demeurant envieuses, deviennent béatitudes. Que si l’on massacre et l’on ravage pour l’unité socialiste, les haines, parvenues pieuses, deviennent inexpiablement méritoires, les béatitudes envieuses deviennent jouissance infinie, sainte douceur du ciel, adorables idées. Le mal, demeurant mal, devient bien. Le mot d’unité est un mot merveilleux. Par lui nous faisons des miracles. Nous valons bien les curés. Nous avons bien le droit de faire des miracles. Seulement nos miracles à nous sont incontestables, prouvés, authentiques, et non pas de ces miracles douteux comme l’Église romaine. C’est pour cela que nous invoquons toujours l’unité au moment que nous nous disputons le