Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/449

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des dissimulateurs. Si pas un poil de leur face n’avait tressailli, c’était que pas un poil de leur mémoire n’avait tremblé non plus. Aucun d’eux n’avait lu jamais les vers d’Hégésippe Moreau ; ou si quelqu’un les avait lus, il avait lu comme s’il ne lisait pas. Et par là je connus qu’il y a deux races d’hommes. Il y a les hommes qui savent par les livres ; et il y a les hommes qui savent par la réalité.

Il y a les hommes qui ne connaissent que par les livres. Et il y a les hommes qui ne connaissent que la réalité présente. Les premiers savent tout de l’objet, excepté qu’ils ne savent pas ce qu’est l’objet dans la réalité présente. Les autres ne savent rien de l’objet, excepté qu’ils savent ce qu’est l’objet dans sa réalité présente. Pour les premiers, la Voulzie est avant tout, sur tout, automatiquement et uniquement, quelque chose dont on se demande, en se répondant :

La Voulzie, est-ce un fleuve aux grandes îles ?

Saint Éloi :

La Voulzie, est-ce un fleuve aux grandes îles ? Non !

Tous deux ensemble, d’un ton scolaire, à la fois monotone et affectueux :

Mais avec un murmure aussi doux que son nom,
Un tout petit ruisseau coulant visible à peine ;

Sur un ton de réconciliation mutuelle, mais provisoire, comme gens qui s’entendent :

Un géant altéré le boirait d’une haleine ;

Lentement, et détaillant les mots :