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immense et toute puissante pas un mot ne sortit qui fût une attaque particulière à la police adjacente ; pas une allusion ne fut faite aux vaches ni aux flics, et cela en des endroits où il y avait dix-huit cents manifestants pour un homme de police.

Pas un instant le peuple ne faillit à ce calme courtois. Quelques ivrognes vinrent contre-manifester. « Si nous voulons », disaient-il, « crier Vive Déroulède ! nous en sommes bien libres. » — « Parfaitement, monsieur, c’est justement pour la liberté que nous manifestons. » À une fenêtre à droite un prêtre catholique gesticule, crie, applaudit, se moque. On lui crie à bas la Calotte ! ce qui est bien, et Flamidien ! Flamidien ! ce qui est pénible et un peu violent. On ne crie presque pas : À bas les curés ! On pousse les mêmes cris à l’église Saint-Ambroise, à gauche, qui sonne ses cloches. À une fenêtre à gauche un sous-off rengagé, avec une femme genre honneur de l’armée. Pas une injure ne sort de la foule : à bas les conseils de guerre ! au bagne Mercier ! Un capitaine est à sa fenêtre, à gauche, avec sa femme et un petit garçon : Au bagne Mercier ! Vive Picquart ! Un M. Mercier fabrique des voitures en tout genre à gauche, au bout du boulevard Voltaire. Sa maison est le signal d’un redoublement de fureur amusante. Il sait parfaitement que ce n’est pas lui que nous voulons envoyer au bagne.

Si lentement que l’on aille à la place de la Nation, si éloignée que soit cette place, tout de même on finit par y arriver. Depuis longtemps la Carmagnole avait à peu près cessé, abandonnée un peu par les manifestants, un peu moins respectée, plus provocante, moins durable, un peu délaissée. L’Internationale, toute