Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/111

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Vingt, quarante, cinquante siècles d’épreuves le lui disent. Des guerres sans nombre, des meurtres, des déserts, des prises de villes, des exils, des guerres étrangères, des guerres civiles, des captivités sans nombre. Cinquante siècles de misères, quelquefois dorées. Comme les misères modernes. Cinquante siècles de détresses, quelquefois anarchistes, quelquefois masquées de joies, quelquefois masquées, maquillées de voluptés. Cinquante siècles peut-être de neurasthénie. Cinquante siècles de blessures et de cicatrices, des points toujours douloureux, les Pyramides et les Champs-Élysées, les rois d’Égypte et les rois d’Orient, le fouet des eunuques et la lance romaine, le Temple détruit et non rebâti, une inexpiable dispersion leur en ont dit le prix pour leur éternité. Ils savent ce que ça coûte, eux, que d’être la voix charnelle et le corps temporel. Ils savent ce que ça coûte que de porter Dieu et ses agents les prophètes. Ses prophètes les prophètes. Alors, obscurément, ils aimeraient mieux qu’on ne recommence pas. Ils ont peur des coups. Ils en ont tant reçu. Ils aimeraient mieux qu’on n’en parle pas. Ils ont tant de fois payé pour eux-mêmes et pour les autres. On peut bien parler d’autre chose. Ils ont tant de fois payé pour tout le monde, pour nous. Si on ne parlait de rien du tout. Si on faisait des affaires, de(s) bonnes affaires. Ne triomphons pas. Ne triomphons pas d’eux. Combien de chrétiens ont été poussés à coups de lanières dans la voie du salut. C’est partout pareil. Ils ont peur des coups. Toute l’humanité a généralement peur des coups. Au moins avant. Et après. Heureusement elle n’a quelquefois pas peur des coups pendant. Les plus merveilleux soldats peut-être