Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/115

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emmenées. Une captivité vient, après tant de captivités. De longs convois traîneront dans le désert. Leurs cadavres jalonneront les routes d’Asie. Très bien, ils savent ce que c’est. Ils ceignent leurs reins pour ce nouveau départ. Puisqu’il faut y passer ils y passeront encore. Dieu est dur, mais il est Dieu. Il punit, et il soutient. Il mène. Eux qui ont obéi, impunément, à tant de maîtres extérieurs, temporels, ils saluent enfin le maître de la plus rigoureuse servitude, le Prophète, le maître intérieur.

Le prophète, en cette grande crise d’Israël et du monde, fut Bernard-Lazare. Saluons ici l’un des plus grands noms des temps modernes, et après Darmesteter l’un des plus grands parmi les prophètes d’Israël. Pour moi, si la vie m’en laisse l’espace, je considérerai comme une des plus grandes récompenses de ma vieillesse de pouvoir enfin fixer, restituer le portrait de cet homme extraordinaire.

J’avais commencé d’écrire un portrait de Bernard-Lazare. Mais pour ces hommes de cinquante siècles il faut bien peut-être un recul de cinquante ans. D’énormes quantités d’imbéciles, et en Israël et en Chrétienté, croient encore que Bernard-Lazare fut un jeune homme, un homme jeune, on ne sait pas bien, un jeune écrivain, venu à Paris comme tant d’autres, pour s’y pousser, pour y faire sa fortune, dans les lettres, comme on disait encore alors, dans le théâtre, dans les contes, dans les nouvelles, dans le livre, dans la nouvelle, dans le recueil, dans le conte, dans le fatras, dans le journal, dans la politique, dans toute la misère temporelle, venu