Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/118

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où on le laissa tomber, où on le fit tomber, où on le fit périr. Où on le fit mourir.

— C’est de sa faute aussi s’il est mort, disent-ils dans leur incroyable, dans leur incurable bassesse, dans leur grossière promiscuité révoltante. Il ne faut jamais mourir. On a toujours tort de mourir. — Il faut donc dire, il faut donc écrire, il faut donc publier que comme il avait vécu pour eux, littéralement il est mort par eux et pour eux. Oui, oui, je sais, il est mort de ceci. Et de cela. On meurt toujours de quelque chose. Mais le mal terrible dont il est mort lui eût laissé un délai, dix, quinze, vingt ans de répit sans l’effroyable surmenage qu’il avait assumé pour sauver Dreyfus. Tension nerveuse effrayante et qui dura des années. Effroyable surmenage de corps et de tête. Surmenage de cœur, le pire de tous. Surmenage de tout.

On meurt toujours de quelque(s) atteinte(s).

Je ferai le portrait de Bernard-Lazare. Il avait, indéniablement, des parties de saint, de sainteté. Et quand je parle de saint, je ne suis pas suspect de parler par métaphore. Il avait une douceur, une bonté, une tendresse mystique, une égalité d’humeur, une expérience de l’amertume et de l’ingratitude, une digestion parfaite de l’amertume et de l’ingratitude, une sorte de bonté à qui on n’en remontrait point, une sorte de bonté parfaitement renseignée et parfaitement apprise d’une profondeur incroyable. Comme une bonté à revendre. Il vécut et mourut pour eux comme un martyr. Il fut un prophète. Il était donc juste qu’on l’ensevelît prématurément dans le silence et dans l’oubli. Dans un silence fait. Dans un oubli concerté.