Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/153

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mait, me dépassait. Tant de douceur pour ainsi dire inexpiable. J’écoutais dans une piété, dans un demi-silence respectueux, affectueux, ne lui fournissant que le propos pour se soutenir. Le Beethoven de Romain Rolland venait de paraître. Nos abonnés se rappellent encore quelle soudaine révélation fut ce cahier, quel émoi il souleva d’un bout à l’autre, comme il se répandit soudainement, comme une vague, comme en dessous, pour ainsi dire instantanément, comme il fut soudainement, instantanément, dans une révélation, aux yeux de tous, dans une entente soudaine, dans une commune entente, non point seulement le commencement de la fortune littéraire de Romain Rolland, et de la fortune littéraire des cahiers, mais infiniment plus qu’un commencement de fortune littéraire, une révélation morale, soudaine, un pressentiment dévoilé, révélé, la révélation, l’éclatement, la soudaine communication d’une grande fortune morale. Mais tout ce mouvement se gonflait, n’avait pas encore eu le temps de se manifester. Le cahier, je le répète, venait tout juste de paraître. Bernard-Lazare me dit : Ah j’ai lu votre cahier de Romain Rolland. C’est vraiment très beau. Il faut avouer que l’âme juive et l’âme hellénique ont été deux grands morceaux de l’âme universelle. Je ne manifestai rien, parce que j’ai dit que quand on va voir un malade on est résolu à ne rien manifester. On est donc gardé par une cuirasse, invincible, par un masque impénétrable. Mais je fus saisi, je me sentis poursuivi jusque dans les vertèbres. Car j’étais venu pour voir, je m’étais attendu à voir les avancées de la mort. Et c’est déjà beaucoup. Et je voyais brusquement les avancées des au-delà de la