Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/204

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Deuxièmement, et celle-ci est une raison de bonne compagnie, tirée de la vieille morale, et je suis heureux de la dire : On n’a pas le droit de trahir les traîtres mêmes. On n’a jamais le droit de trahir, personne. Les traîtres, il faut les combattre, et non pas les trahir.

Hervé même, qui fait tant le fendant depuis que ça lui rapporte, fût-ce des mois de prison, et des années, quatre années aujourd’hui, mais c’est toujours un rapport, Hervé au contraire, qui fait profession de tout dire, lui, et de n’avoir peur de rien, Hervé était au contraire d’une sorte de prudence consommée, même cauteleuse, il ne faut pas dire bretonne pendant tout le temps de son introduction. Tout eût été si simple, si direct, s’il nous eût dit directement : Mesdames et messieurs, citoyennes et citoyens, j’arrive de Sens. Vous voyez en moi le traître. Ce que Dreyfus n’a malheureusement pas été, je le suis. Ce que Dreyfus n’a malheureusement pas fait, je le veux faire, je suis venu à Paris pour le faire. Je me suis fait venir de Sens pour être traître. Je suis celui qui enseignerai désormais la trahison militaire, techniquement parlant. On s’était trompé jusqu’ici. Il faut être un traître, et nommément un traître militaire.

Comme le disaient nos maîtres, nos communs maîtres, j’ai renouvelé la question.

S’il nous eût dit tout simplement cela.

Mais dans ce temps-là je le connaissais beaucoup. Ce pacifiste s’avançait avec une prudence extraordinaire dans le sentier.