Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/226

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ensemble. Combien n’ai-je point connu de carrières de juifs, de pauvres gens, fonctionnaires, professeurs, qui ont été brisées, qui sont encore brisées, pour toujours, par le double mécanisme suivant : pendant toute la poussée de l’antisémitisme victorieux et gouvernemental on a brisé leur carrière parce qu’ils étaient Juifs ; (et les chrétiens parce qu’ils étaient dreyfusistes). Et aussitôt après pendant toute la poussée du dreyfusisme victorieux mais gouvernemental on a brisé leurs carrières parce qu’on était combiste et qu’avec nous ils étaient demeurés dreyfusistes purs. C’est ainsi, par ce double mécanisme, qu’ils partagent avec nous, fraternellement, une misère double, une double infortune inexpiable.

Dans cette course du monde moderne ils sont comme nous, plus que nous ils sont lourdement, doublement chargés.

Les antisémites parlent des Juifs. Je préviens que je vais dire une énormité : Les antisémites ne connaissent point les Juifs. Ils en parlent, mais ils ne les connaissent point. Ils en souffrent, évidemment beaucoup, mais ils ne les connaissent point. Les antisémites riches connaissent peut-être les Juifs riches. Les antisémites capitalistes connaissent peut-être les Juifs capitalistes. Les antisémites d’affaires connaissent peut-être les Juifs d’affaires. Pour la même raison je ne connais guère que des Juifs pauvres et des Juifs misérables. Il y en a. Il y en a tant que l’on n’en sait pas le nombre. J’en vois partout.