Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/284

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sion de voix très ouverte, large ouverte, nullement une diphtongue mouillée. Non point en traînant sur paî, en traînant paî, mais en le nourrissant au contraire. Trop de vieux derrière moi se sont courbés, se sont baissés toute la vie pour accoler la vigne. Avec cet osier rouge tendre brun que l’on vend au marché, cueilli, coupé des bords de la Loire, des fausses rivières, des îles longues de sable, des sables mouvants, des sables fixés, des mares courantes, des retours d’eau. Des mortes rivières. Des mortes eaux. Cet osier flexible, au bout flexible, au bout vimineux, à l’extrémité viminale, à l’extrémité de couleur de plus en plus ardente, de plus en plus sève et flexible jusqu’au bout ; encore comme tout mouillé intérieurement, dans sa sève même, dans sa sève qu’il garde, de l’eau de la rivière. Peuple laborieux. J’en ai trop derrière moi. Je crois que c’est pour ça que j’ai ce vice de travailler. Puissé-je écrire comme ils accolaient la vigne. Et vendanger quelquefois comme ils vendangeaient dans les bonnes années. Puissé-je écrire seulement comme ils causaient. Trop de vieux, (et de vieilles), ont vécu sur la vigne, sur la délicate vigne, penchés comme sur une enfant, penchés toute la vie, (ce qui donne des courbatures quelquefois même à ceux qui sont habitués, qui ont l’habitude, (il n’a pas l’habitude), penchés, courbés, plies, en deux comme le disait ma grand mère (on est toute en deux) pour tailler, sarcler, biner, choyer, désherber, cajoler, regarder, (regarder croître, regarder pousser, regarder mûrir, encourager ; pousser du regard), (faire réellement pousser du regard), vendanger d’ingrates et de reconnaissantes vignes. Ils disaient plus simplement : J’va travailler la vigne. Tout ce qu’on faisait à la vigne