Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/307

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tante, d’un vieux familier cabaret. Alors là on peut se lancer. Là on est hardi, on est couvert, on ne craint rien. On est à l’abri d’on ne sait quoi. Et ils en parlent gravement comme des papes, et en même temps éperdûment, et en même temps laborieusement. Ils sont hardis. Et en même temps ils s’appliquent. Et ils s’appliquent en même temps à être hardis. Il en résulte une énorme dépense de travail cérébral. Jamais ils ne (se) travaillent, jamais ils ne fatiguent tant de tête que quand ils sont un peu soûls. Ils sont graves alors, ils sont sérieusement émus, (et en même temps, par une délicieuse, par une désarmante ironie (sur eux-mêmes), par un amusant retour sur soi-même ils appellent en effet cela, souriants de connivence, ou sérieux apparemment, être (un peu) émus.) ils sortent, non sans peine, des raisonnements serrés, des raisonnements invincibles, (alors tu vois ben), des raisonnements victorieux, des raisonnements généreux, des raisonnements sévères, des raisonnements éloquents sur le gouvernement des peuples, des raisonnements logiques, en tenant la rampe, des raisonnements prodigieux. Ils sont alors dans une sorte de béatitude, dans un autre royaume. Ils se rendent parfaitement compte en effet instinctivement qu’ils sont dans un autre langage, dans un autre royaume, dans un autre État que le royaume ordinaire du travail et de la maison, que le royaume de la semaine. Ils sont dans une sorte d’extase. À la fois d’excitation et ensemble d’hébétement. Alors ils parlent, autant pour se sortir que pour s’encourager. Ça sert à donner du courage. À ceux qui n’en ont pas du tout. Les femmes connaissent très bien ce phénomène, cet état particulier. Une femme dit couramment