Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/450

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pour trouver des mots qui percent le cœur. Les personnages de Racine offensent constamment, et au fond même ils ne font que cela. Ce n’est point ce soudard innocent qui offense, mais c’est l’innocente, c’est la douce, c’est la tendre Iphigénie qui sait offenser, c’est la fine et malheureuse Bérénice elle-même :

Hé bien, il est donc vrai que Titus m’abandonne ?
Il faut nous séparer ; et c’est lui qui l’ordonne.
Ah ! cruel, est-il temps de me le déclarer ?
Hé bien ! régnez, cruel ; contentez votre gloire :
Vous ne comptez pour rien les pleurs de Bérénice.
Vous êtes empereur, Seigneur, et vous pleurez !

§39. — C’est là qu’on le voit, combien la grossièreté, surtout cette grossièreté voulue et comme innocente, est autre que l’offense et que la cruauté. Autre que la disgrâce et que l’ingratitude.

§40. — On voit aussi, on sait assez combien ce mot de cruel(le) et même de cruauté revient dans Racine. Combien de fois il y figure. C’est là un véritable mot conducteur, motif conducteur, c’est-à-dire non pas un appareil, une applique extérieure mais un mot, un mouvement réellement central, réellement, profondément intérieur qui revient toutes les fois qu’il est réellement nécessaire. Ce mot est partout dans Racine, toujours si juste, si central, si justement appliqué, si intérieur, si réellement nécessaire. Il est dans Racine presque un mot technique, certainement un mot rituel, le mot même de la révélation du cœur.