Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/511

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Ces vieux canons invalides, non blessés toutefois généralement, ces invalides de canons, tout neufs, (d’aspect), tout reluisants, tout astiqués. Les canons qui avaient du ventre, qui osaient avoir du ventre. Sinon peut-être les canons de Fontenoy et de Denain et de Malplaquet du moins les canons et les mortiers de Vauban, des places et des camps, (au camp sous Maëstricht), (des obusiers peut-être), le parc d’une artillerie ancien régime, les canons du roi, l’artillerie du roi, le maître de l’artillerie, bellum enim regum ultima ratio ; les vieux canons de bronze, beaux comme des cloches, pansus et rebondis comme des cloches, dorés comme des cuivres et des airains qu’ils étaient ; dorés comme des vieux soleils un peu ombrés ; bronzes à la voix puissante, à la voix musicale ; à la voix retentissante, à la voix redondante ; à la voix grave ; et dont les flots de voix coulaient sur les plaines et sur les ravins, sur l’escarpe et dans le fossé comme des inondations ; monstres à la voix puissante ; qui dans les batailles sonniez comme des cloches ; comme d’énormes cloches ; monstres qui retentissiez comme le bourdon de Notre-Dame. Tous les matins dans l’aube naissante ou née ou à naître vous regardiez passer ces conscrits ; nos canons mathématiques, nos canons précis, nos canons à la voix grêle, nos canons à la voix aigrelette ; fins et maigres comme tous les adolescents ; élancés ; ces insectes gris bleu ; ces grandes sauterelles bleu gris ; ces durs aciers modernes ; ces jantes grêles ; ces aciers gris bleu ; ces grandes pattes d’araignées ; ces grandes pattes de faucheuses ; dans le fin brouillard bleu qui montait de la Seine vous regardiez passer ces tubes gris de fer. Ces corselets. Et vous ne grondiez pas trop, vous ne