Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/520

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parfaitement romantique et triplement romantique : par sa nature, son aspect physique, par le caractère de ses habitants et par l’action que nous y exerçons encore. Histoires de brigands, assassinats, combats épiques, pillages, sombres intrigues, tout cela fleurit ici comme dans son terrain naturel. Ainsi c’est en pleine nature romantique, en pleine vie romantique, dans une terre romantique, sous un climat romantique que vous poussez, que vous vivez, que vous concentrez, que vous conduisez une pensée classique, que vous acheminez, que vous achevez, que vous couronnez une pensée classique, une œuvre classique, cette œuvre classique qu’est une vie et une pensée. C’est dans une matière romantique qu’une pensée classique vient et s’effectue, qu’une œuvre s’opère. Et tout conspire à cette impression. Les aspects du pays, qui ne sont guère « jolis », ont cependant une beauté qui leur vient d’un tragique puissant, une beauté sans grâce, mais bizarre et monstrueuse comme un décor du second Faust. Des plaines sans eau de l’Agan, écrasées de soleil, du montueux Tagant et de ses cirques de rochers noirs, des dunes sans fin de l’Aouker, du noir Assaba, toute vie s’est retirée aujourd’hui et il reste un rude squelette minéral où errent de pauvres tentes en poil de chameau et des troupeaux nomades. Les Maures de ces contrées désolées sont parmi les plus rudes guerriers qui soient au monde. Ils nous l’ont fait sentir plus d’une fois, et nous le feront encore sentir, vraisemblablement. Cette noble et antique race qui se rattache à l’Orient mystique (il y a ici des « Chiites » que les guerres du premier siècle de l’Islam avaient pourtant rejetés et confinés en Perse sur les bords de l’Euphrate) et qui se ramifie vers l’Est