Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/89

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son propre connaissement. Il faut sur tout se donner garde de continuer. Continuer, persévérer, en ce sens-là, c’est tout ce qu’il y a de plus dangereux pour la justice, pour l’intelligence même. Prendre son billet au départ, dans un parti, dans une faction, et ne plus jamais regarder comment le train roule et surtout sur quoi le train roule, c’est, pour un homme, se placer résolument dans les meilleures conditions pour se faire criminel.

Tout le fatras des propos et des conversations, les embarras, les apparentes contradictions, les embroussaillements, les inextricables difficultés du jugement, les apparentes incompréhensions et impossibilités de comprendre et de suivre, les bonnes fois contraires et les mauvaises fois entrelacées, les bonnes et les mauvaises fois adverses, le recommencement perpétuel et fatigant de la vanité des mêmes propos, la répétition, l’exécrable répétition des mêmes incohérents et infatigables propos seraient beaucoup éclairés si l’on faisait seulement attention de quoi on parle, si, sur toute action, dans chaque action, dans chaque ordre, on parle de la mystique ou, plus généralement, de la politique. Ainsi s’explique que dans tant de polémiques, dans tant de débats les deux adversaires, les deux ennemis paraissent avoir également raison, également tort. Une des principales causes en est que l’un parle de la mystique, et l’autre répond de la politique correspondante, de la politique issue. Ou l’un parle de la politique, et l’autre répond de la mystique antérieure. Ce n’est pas seulement la justice, dans l’ordre du jugement moral, qui demande que l’on compare toujours deux actions aux mêmes étages et non point en deux