Page:Peguy oeuvres completes 09.djvu/16

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un royaume inférieur. Il est comme les autres, il est comme dans Molière, il est inférieur quand il est inférieur, et il n’est pas inférieur quand il n’est pas inférieur. Il ne fait pas exception à ces règles générales de niveau. Il n’est point inférieur en lui-même, parce qu’il est le pathétique. Il est inférieur quand il est de mauvaise, de basse qualité. Quand il est du bas pathétique. Il n’est pas inférieur quand il n’est pas de basse qualité. On ne me fera jamais dire que le comique est un genre inférieur. Quant au tragique j’avoue que je ne vois rien d’humain qui soit supérieur au pathétique de Sophocle et que pour un demi-chœur d’Antigone je donnerais les trois Critiques précédées d’un demi-quarteron de Prolégomènes. Et par là je ne veux pas dire seulement, ce qui est entendu, que je les donnerais en beauté, sub specie pulchri, mais que je ne les donnerais pas moins en vérité, en réalité, sub specie rei ac realitatis. Et qu’il y a dans ce pathétique infiniment plus et autrement que dans cette critique une connaissance, un approfondissement de la nature, de la réalité de l’homme et de la fatalité.

Il faut renoncer à cette idée que la passion soit trouble (ou obscure) et que la raison soit claire, que la passion soit confuse et que la raison soit distincte. Nous connaissons tous des passions qui sont claires comme des fontaines et des raisons au contraire qui courent toujours après les encombrements de leurs trains de bagages. On ne peut même pas dire que la passion est riche et que la raison et que la sagesse est pauvre, car il y a des passions qui sont plates comme des billards et il y a des sagesses et il y a des raisons qui sont pleines et mûres et lourdes comme des grappes.