Page:Peguy oeuvres completes 09.djvu/24

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d’autres. Empêcher l’homme de descendre certaines pentes, n’est-ce point un travail de géant. Empêcher l’homme de descendre certaines pentes sentimentales, certaines pentes morales, certaines pentes de conduite, n’est-ce point le travail et la plus grande partie du secret de tant d’arts et des plus grandes morales. Empêcher l’homme, déshabituer, désentraver l’homme de descendre certaines pentes mentales, si seulement on y réussissait, certaines pentes de pensée, soyons convaincus qu’il y aurait là, qu’il y avait là matière, objet à une très grande logique, à une très grande morale, à une très grande métaphysique. La liberté, dont on dit qu’elle est le premier des biens, ne s’obtient généralement que par une opération de désentrave. Pourquoi la réalité, qui est peut-être un bien plus profond, ne s’obtiendrait-elle pas aussi par une opération de désentrave. Et pourquoi une opération de désentrave ne serait-elle pas une opération d’une extrême importance. La Révolution française a été une opération, un événement historique énorme parce qu’elle a fait semblant de désentraver le monde d’un semblant de servitude politique. Et enfin tout l’immense appareil de l’incarnation et de la rédemption n’a-t-il pas été dressé pour désentraver l’homme, pour l’empêcher de rester tombé dans l’esclavage et j’ai presque envie de dire dans l’habitude du péché originel. Car le péché était surtout devenu une immense habitude. Et l’esclavage est l’habitude pour ainsi dire la plus habituée.

Il faut faire attention d’ailleurs que cette expression le tout fait, si elle revient constamment, comme il était naturel, et comme il fallait s’y attendre, dans la philosophie de Bergson, est conduite à y revenir en deux