Page:Peguy oeuvres completes 09.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nique. La philosophie bergsonienne veut que l’on pense sur mesure et que l’on ne pense pas tout fait.

D’autant qu’un vêtement de confection est toujours un vêtement d’occasion. C’est un vêtement d’occasion dans le neuf au lieu d’être un vêtement d’occasion dans le vieux. Mais c’est toujours un vêtement d’occasion. C’est par occasion qu’il va, ou qu’il est censé aller. Ce n’est point par une adaptation propre antérieure, par une coupe propre antérieure. Ce n’est point par une adaptation unique, par une coupe destinée.

C’est une des plus grandes sources de sophismes et d’erreurs, ou, pour demeurer dans notre comparaison, je dirai : c’est un des plus grands magasins de sophismes et d’erreurs que cette négligence de considérer, cette faute de considérer, ce défaut de considérer, je veux dire que cette négligence qui consiste à ne pas considérer, à négliger de considérer que du tout neuf n’est pas forcément du tout nouveau. Beaucoup de contre sens viennent de là, et beaucoup de fautes de jugement, d’erreurs de jugement. On croit généralement qu’il suffit qu’une idée soit neuve pour qu’elle soit nouvelle. On croit qu’il suffit qu’une idée soit neuve pour qu’elle n’ait jamais servi. Quelle erreur. Elle a servi au fabricant. Quand un arbre de théâtre, quand un amour de théâtre sort de chez le fabricant, il est tout de même un vieil arbre, il est tout de même un arbre tout fait, et il est tout de même de théâtre. Il a beau être neuf, il n’est pas pour cela un vrai arbre, un arbre dans la campagne. Ce n’est pas pour cela un nouvel arbre dans le monde. Ce n’est pas une question de degrés, c’est une question d’ordre. Homère est nouveau ce matin, et rien n’est peut-être aussi vieux que le journal d’au-