Page:Peguy oeuvres completes 09.djvu/45

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parce que sa morale était provisoire, justement parce qu’elle n’entrait pas dans son système, parce qu’elle n’était pas arrêtée, parce que pour ainsi dire elle n’était pas officielle, justement parce qu’il s’y est moins défendu, moins observé, c’est elle qui nous livre son secret. Son secret c’est bien d’aller toujours dans le même sens et, le soir, d’arriver quelque part.

Toute la question est en effet de savoir si la pensée elle-même n’entre point dans de certaines conditions, si elle n’est point soumise à de certaines conditions générales de l’homme et de l’être, qui sont des conditions organiques, et dont l’une précisément serait que tout vaut mieux que de tourner en rond.

Partir, marcher droit, arriver quelque part. Arriver ailleurs plutôt que de ne pas arriver. Arriver où on n’allait pas plutôt que de ne pas arriver. Avant tout arriver. Tout, plutôt que de vaguer. Et que la plus grande erreur c’est encore d’« errer » : voilà sa nature même et la race de son secret.

Je ne voudrais point le rendre suspect de ce pragmatisme que l’on a si souvent reproché à la philosophie bergsonienne (à tort, selon moi, et un jour je le montrerai), mais enfin il est évident que la philosophie cartésienne est un système de pensée où arriver est d’un prix éminent, et même d’un prix unique. Tout, plutôt que n’avoir pas de gîte ce soir.

L’espoir d’arriver tard dans un sauvage lieu.