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qu’il n’était qu’un passant dont on s’emparait sur la mine. Mais ce passant, une fois arrêté, devenait suspect : une fois dans le tas, c’était un « insurgé », et rien n’indiquait s’il était de ceux qu’on avait pris sur une barricade.

La cour du Collège de France était remplie de prisonniers, la plupart en blouse et en pantalon de toile ; ce n’étaient donc pas des fédérés. Ces malheureux étaient parqués là comme des bestiaux. Tous étaient debout et devaient rester debout, sans broncher. Il était défendu de se coucher ou de s’asseoir. Il y avait parmi les prisonniers de malheureuses femmes, quelques-unes les bras chargés d’un enfant endormi. Une mère allaitait un nouveau-né.

Ce n’est pas dans la cour qu’on faisait entrer les personnes qu’on amenait : elles s’arrêtaient, et M. Forcade s’arrêta, à la loge du concierge. Cette loge comprend deux pièces. Dans la première, le colonel Robert, mort depuis général à Rouen en 1878, avait installé un tribunal de son autorité privée. Il avait avec lui un capitaine de gendarmerie, un capitaine des gardiens de la paix, deux capitaines de la ligne et un sous-lieutenant faisant les fonctions d’état-major.

Dans la seconde pièce dormaient deux gendarmes. M. Forcade fut amené dans la première pièce. Il s’y trouva mêlé à d’autres prisonniers, attendant comme lui leur tour. Les interrogatoires allaient vite. Les malheureux arrivaient tremblants, interdits, blêmes, le cerveau bouleversé, les genoux fléchissant, le gosier serré et ne laissant plus passage à la voix. Pressés de questions, brutalisés, ayant à peine le temps de placer une réponse, balbutiant à peine quelques paroles incohérentes, ils étaient jugés en un tour de main, avant de s’être reconnus. — « Avez-vous fait partie de la