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s’en fut emparée, le lundi 22 au petit jour, M. de Cissey s’y établit ; chacune des étapes de son quartier général fut marquée par un abattoir. L’École militaire d’abord, le Luxembourg ensuite. Seulement, à l’École militaire, on continua à fusiller après le départ de M. de Cissey.

C’était encore un endroit où l’on faisait converger les colonnes de prisonniers. Il semble qu’il y ait eu beaucoup de désordre et d’arbitraire dans la promenade qu’on faisait faire aux personnes arrêtées pour un motif ou pour un autre. J’ai sous les yeux le récit que m’a fait un médecin, directeur d’une ambulance, dont on s’était emparé près des Gobelins. Il fit partie d’une colonne qu’on dirigea sur le Luxembourg. Là, on jeta les prisonniers dans une cave trop étroite ; ils étaient plusieurs centaines : quelques-uns périrent asphyxiés. Au petit jour, on les fit sortir, et on les mit en route pour l’École militaire. Comment traduire l’impression de ces sinistres journées pour les malheureux qui croyaient d’autant mieux, à chaque nouveau déplacement, leur dernière heure venue, qu’on ne cessait de leur annoncer leur prochaine exécution ? Il semblerait que dans ces énormes troupeaux de plusieurs centaines d’hommes conduits à l’abattoir, il aurait dû éclater je ne sais quelle révolte désespérée… Eh bien ! l’homme se sent alors la résignation stupide du bétail : — il continue d’obéir, passif, se demandant à chaque tournant de rue, si c’est là qu’il va être mis au mur.

La colonne suivait le boulevard Montparnasse, vers quatre heures du matin ; il pleuvait à verse et le boulevard était désert. On rencontra pourtant un bourgeois tranquillement abrité sous son parapluie. Cet honnête homme matinal, malgré l’ondée, ferma son parapluie, mit son chapeau au bout de la tige, et l’agita en l’air en criant : « Fusillez-les tous. »