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me nomme Gallifet. Vos journaux de Paris m’ont assez raillé, je prends ma revanche. »

Tels sont les divers récits qui n’ont jamais provoqué, de la part du général, la moindre rectification.


XLIV

DE PARIS À VERSAILLES

Ce serait toujours un long voyage pour des vieillards et des femmes ; c’était un effort surhumain pour tous, dans ces terribles circonstances. Songez que la peur et le désespoir avaient déjà brisé les forces des captifs ; que la plupart n’avaient pas mangé ; que beaucoup, au milieu des émotions de la semaine, n’avaient pas dormi, en sorte que la veille et le jeûne achevaient l’œuvre des souffrances. D’étranges accidents cérébraux se produisaient. Beaucoup, hébétés, ne sachant plus où ils étaient, marchaient machinalement ; d’autres avaient eu de véritables visions. L’un d’eux (c’était sa troisième nuit de prisonnier) raconte, dans sa relation que j’ai sous les yeux, qu’il voyait, la nuit, à la gare de la Muette, les soldats faire lever ses compagnons pour les fusiller, qu’il entendait les râles des dormeurs qu’on égorgeait. Terrifié, il secoue son voisin, lui dit ; « Mais regardez donc… écoutez donc… on nous massacre. » L’autre écoute et regarde : il n’y avait rien, rien qu’un rêve d’homme éveillé, une affreuse hallucination.

C’étaient ces malheureux qui devaient faire la route de Versailles, à pied, et avec quelle torture ! Il fallait rester nu-tête. D’ailleurs, la plupart, décoiffés d’un coup de poing, avaient laissé de force leur chapeau ou képi sur le pavé de Paris. Le soleil de mai leur brûlait