Page:Pelletan - La Semaine de Mai.djvu/304

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cordelettes, qui leur donnaient un aspect de Philoctète dans son île, à faire rêver un sculpteur. Ce bout de haillon les rattachait à l’art grec.

» Toutes ces loques, sous l’ardente lumière, paraissaient décolorées comme les draperies d’une grisaille, et les cheveux eux-mêmes des prisonniers, vieux ou jeunes, étaient uniformément gris, tant la poussière en avait altéré la nuance.

» Parmi ces prisonniers il y avait quelques femmes, assises sur leurs articulations ployées, à la manière des figures égyptiennes, dans les jugements funèbres, et vêtues de haillons terreux, mais donnant des plis superbes. Quelques-unes, farouchement séparées du groupe, comme par une sorte de dédain, présentaient des aspects de sibylles à la Michel-Ange ; mais la plupart, il faut l’avouer, avaient des airs de stryges, de lamies, d’empouses, ou, pour sortir de la mythologie du second Faust, ressemblaient aux sorcières barbues et moustachues de Shakespeare, formant une variété hideuse d’hermaphrodite faite avec les laideurs des deux sexes. Chose étrange, parmi ces monstres, se trouvait une charmante fillette de treize à quatorze ans, à physionomie candide et virginale, blonde, vêtue avec recherche et propreté d’un veston bleu clair à soutaches noires, et d’une jupe blanche, courte comme celle des très jeunes filles, laissant voir des bas bien tirés et des bottines élégantes quoique poudreuses. Quel hasard avait mêlé ce petit ange à ces démons, cette pure fleur à ces mandragores ? Nous n’avons pu le comprendre. Personne ne le savait, et notre point d’interrogation est resté sans réponse. Un peu en arrière, sur un chariot ou une prolonge, était couché sur le dos, avec une raideur cadavérique, un vieillard à grande barbe blanche, dont le crâne nu luisait au soleil comme un